Texte 5: Le Roman de Renart (XIIème et XIIIème siècles)

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Les épopées aristocratiques et courtoises n’étaient pas inconnues du petit peuple ; elles pouvaient agacer autant que susciter l’admiration. La verve populaire a su en détourner les codes dans le Roman de Renart (c’est un exemple de nom propre devenu nom commun), recueil de contes à personnages récurrents. On se réjouira de voir un nouveau type de héros, plus Ulysse qu’Achille, plus rabelaisien qu’arthurien, qui nous ramène aux réalités quotidiennes de la vie dans les campagnes médiévales, et qui anticipe sur les animaux bien humains de La Fontaine.


Il se trouve qu’un jour Renart, 

qui est tellement plein de ruse et de malice

et qui connait beaucoup de tours,

s’en va en courant vers une ferme.

La ferme est dans un bois;

il y a là beaucoup de poules, de coqs,

de canes, de canards, de jars et d’oies.

Et messire Constant des Noues,

un paysan fort bien pourvu,

habite très près de l’enclos.

Sa maison a en abondance

des poules et des chapons.

Il a bien garni sa demeure,

il y a de tout,

de la viande salée, du jambon, et des flèches de lard.

Le paysan est riche avec tout cela,

il est vraiment bien installé,

l’enclos se trouve tout autour.

Il y a aussi beaucoup de bonnes cerises,

de nombreux fruits de maintes sortes,

des pommes, et encore d’autres fruits.

Renart y va pour son plaisir.

Le jardin est bien clos

avec des gros pieds de chênes pointus,

garnis d’aubépines.

Maître Constant a mis ses poules dedans

car c’est comme une forteresse.

Renart se dirige de ce côté,

tout doucement, tête baissée,

il s’en va tout droit vers l’enclos.

Renart est très fort en grande quête

mais la résistance des buissons d’épines

le contrarie dans son affaire

si bien qu’il ne sait à quel saint se vouer.

Il ne peut pas parvenir jusqu’aux poules

ni en forçant ni en sautant.

Il s’accroupit au milieur du chemin

car il craint beaucoup que quelqu’un le voie.
Il se dit que s’il saute
sur les poules et qu’il les rate,
il sera vu, et les poules
se cacheront sous les buissons d’épines.
Il pourrait alors être surpris rapidement
avant qu’il n’aie guère pu s’approvisionner.
Il en ressent une grande inquiétude.
Il veut prendre pour lui des poules
qui vont devant lui picorant.
Renart s’en va en se baissant puis se redressant
quand il découvre à l’angle de la clôture
un pieu brisé; il se met dessus.
Le paysan a planté des choux
là où la clôture est ouverte.
Renart passe de l’autre côté et entre dedans
en se laissant tomber comme une masse
pour que les gens ne le voient pas.
Mais les poules qui tendent le cou
l’ont vu à loisir,
chacune s’empresse de fuir.
Au même moment, seigneur Chantecler le coq,
dans un chemin le long du bois,
est en train de marcher dans la poussière
d’une ornière entre deux pieux.
Il va au devant d’elles très fièrement,
plume au pied, le cou tendu,
puis demande pour quelle raison
elles s’enfuient vers la maison.
Pinte prend la parole, elle qui en sait plus,
qui pond de gros oeufs
et qui juche près du coq, à sa droite.
Elle lui raconte toute l’histoire :
« Je ne sais quelle bête sauvage,
qui pourrait vite nous faire du mal
si nous ne sortons pas de l’enclos,
est rentrée dedans, je vous l’affirme.
— N’ayez pas peur, lui dit le coq,
mais soyez toutes rassurées.

Cherchez-vous à m’attraper par ruse ?
— Certainement pas, lui répond Renart.
Mais chantez donc en fermant les yeux.
Nous sommes d’une même chair et d’un même sang;
j’aimerais mieux perdre une patte plutôt
que de vous faire le moindre mal,
car vous êtes mon très proche parent. »
Chantecler dit : « Je ne vous crois pas.
Éloignez-vous un peu de moi,
et je chanterai une chanson.
Il n’y aura aucun voisin dans les environs
qui n’entendra pas bien ma voix de fausset. »
Cela fait sourire Renardet,
et il dit : « Chantez, cousin,
je saurai bien reconnaître si Chanteclin,
mon oncle, y a été pour quelque chose. »
Alors, Chantecler commence à haute voix,
puis il pousse un cri;
un œil fermé et l’autre ouvert.
Comme il craint beaucoup Renart,
il regarde fréquemment de son côté.
Renart lui dit : « Tout cela est en vain !
Chanteclin chantait autrement,
tout d’un trait, les yeux fermés,
si bien qu’on l’entendait au-delà des enclos. »
Chantecler croit qu’il dit vrai,
alors il recommence sa mélodie,
les yeux fermés, avec une grande ardeur.
Mais Renart ne veut pas attendre davantage :
il saute par-dessus un chou rouge,
il l’attrape par le cou,
et s’en va en fuyant tout content
d’avoir pris sa proie.
Pinte s’aperçoit que Renart l’emporte,
elle est triste, elle se sent abattue.
Elle se met à se lamenter,
à cause de Chantecler qu’elle voit partir.
Puis elle crie : « Seigneur, je vous l’avais bien dit,
mais vous n’avez cessé de vous moquer de moi,
et vous m’avez prise pour une folle.
Le discours que je vous avais tenu
s’avère juste à présent.
Votre orgueil vous a trahi.
J’ai été stupide de vous avertir
car seul le fou ne redoute rien jusqu’à ce qu’il soit pris.
Renart vous tient et vous emporte.
Pauvre malheureuse que je suis ! Ah, je suis morte !
Car en perdant ainsi mon seigneur,
j’ai perdu mon amour. »


Questions

  1. Dans quelle mesure ce conte est-il une « mine » pour évoquer la vie quotidienne au moyen-âge ?
  2. Dans quelle mesure ce conte est-il une parodie d’épopée? 


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