La poésie romantique française

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Alphonse de Lamartine— Méditations poétiques – 1820

Voici le premier recueil de poésies clairement romantique. Chacun connaît Le Lac, que l’on peut s’amuser à lire comme une « simple » réécriture de la lettre IV, 17 de la Nouvelle Héloïse. On a en outre voulu reproduire ici un poème un peu moins connu, mais peut-être encore plus proche de l’esprit rousseauiste , et finalement pas si éloigné de la sensibilité d’un Baudelaire, celui d’Elévation par exemple. Lamartine évoluera politiquement, jusqu’à devenir en 1848 une figure de gauche; il est ici un des ces « ultras », catholiques et monarchistes, de la première génération romantique, qui prenaient Rousseau pour leur maître à penser, en oubliant qu’il a été aussi un philosophe, l’auteur du Contrat Socialpar exemple.

Le lac
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?
 
Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !
 
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
 
Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
 
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :
 
« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
 
« Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
 
« Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.

« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »
 
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
 
Hé quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface
Ne nous les rendra plus ?
 
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
 
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
 
Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !
 
Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !
 
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit et l’on respire,
Tout dise : « Ils ont aimé ! » 

Le Vallon

Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,
N’ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d’un jour pour attendre la mort.
Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.
La source de mes jours comme eux s’est écoulée ;
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour :
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour.
La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne,
M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux ;
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s’assoupit au murmure des eaux.
Ah ! c’est là qu’entouré d’un rempart de verdure,
D’un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux.
J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie :
L’oubli seul désormais est ma félicité.
Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance,
À l’oreille incertaine apporté par le vent.
D’ici je vois la vie, à travers un nuage,
S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ;
L’amour seul est resté, comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.
Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir,
S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l’air embaumé du soir.
Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L’homme par ce chemin ne repasse jamais ;
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l’éternelle paix.
Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne,
Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ;
L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne,
Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux.
Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ;
Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours :
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore :
Détache ton amour des faux biens que tu perds ;
Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore,
Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts.
Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ;
Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ;
Avec les doux rayons de l’astre du mystère
Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon.
Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence :
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à l’esprit parle dans son silence :
Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?


Victor Hugo— Odes et Ballades– 1822

Nous prenons ici Hugo en flagrant délit de réécriture du Lac de Lamartine, lui même réécriture de celui de Rousseau. Plus intéressante peut-être est l’apparition du thème du poète prophète, en des termes qui inspireront Baudelaire.

Paysage

Lorsque j’étais enfant : « Viens, me disait la Muse,

Viens voir le beau génie assis sur mon autel !

Il n’est dans mes trésors rien que je te refuse,

Soit que l’altier clairon ou l’humble cornemuse

Attendent ton souffle immortel.

« Mais fuis d’un monde étroit l’impure turbulence ;

Là rampent les ingrats, là, règnent les méchants.

Sur un luth inspiré lorsqu’une âme s’élance,

Il faut que, l’écoutant dans un chaste silence,

L’écho lui rende tous ses chants !

« Choisis quelque désert pour y cacher ta vie.

Dans une ombre sacrée emporte ton flambeau.

Heureux qui, loin des pas d’une foule asservie,

Dérobant ses concerts aux clameurs de l’envie,

Lègue sa gloire à son tombeau !

« L’horizon de ton âme est plus haut que la terre.

Mais cherche à ta pensée un monde harmonieux,

Où tout, en l’exaltant, charme ton cœur austère,

Où des saintes clartés, que nulle ombre n’altère,

Le doux reflet suive tes yeux.

« Qu’il soit un frais vallon, ton paisible royaume,

Où, parmi l’églantier, le saule et le glaïeul,

Tu penses voir parfois, errant comme un fantôme,

Ces magiques palais qui naissent sous le chaume,

Dans les beaux contes de l’aïeul.

« Qu’une tour en ruine au flanc de la montagne

Pende, et jette son ombre aux flots d’un lac d’azur.

Le soir, qu’un feu de pâtre, au fond de la campagne,

Comme un ami dont l’œil de loin nous accompagne,

Perce le crépuscule obscur.

« Quand, guidant sur le lac deux rames vagabondes,

Le ciel, dans ce miroir, t’offrira ses tableaux,

Qu’une molle nuée, en déroulant ses ondes,

Montre à tes yeux, baissés sur les vagues profondes,

Des flots se jouant dans les flots.

« Que, visitant parfois une île solitaire

Et des bords ombragés de feuillages mouvants,

Tu puisses, savourant ton exil volontaire,

En silence épier s’il est quelque mystère

Dans le bruit des eaux et des vents.

« Qu’à ton réveil joyeux, les chants des jeunes mères

T’annoncent et l’enfance, et la vie, et le jour.

Qu’un ruisseau passe auprès de tes fleurs éphémères,

Comme entre les doux soins et les tendres chimères

Passent l’espérance et l’amour.

« Qu’il soit dans la contrée un souvenir fidèle

De quelque bon seigneur, de hauteur dépourvu,

Ami de l’indigence et toujours aimé d’elle ;

Et que chaque vieillard le citant pour modèle,

Dise : Vous ne l’avez pas vu !

« Loin du monde surtout mon culte te réclame.

Sois le prophète ardent, qui vit le ciel ouvert,

Dont l’œil, au sein des nuits, brillait comme une flamme,

Et qui, de l’esprit sain ayant rempli son âme,

Allait, parlant dans le désert ! »

Tu le disais, ô Muse ! Et la cité bruyante

Autour de moi pourtant mêle ses mille voix,

Muse ! et je ne fuis pas la sphère tournoyante

Où le sort, agitant la foule imprévoyante,

Meut tant de destins à la fois !

C’est que, pour m’amener au terme où tout aspire,

Il m’est venu du ciel un guide au front joyeux ;

Pour moi, l’air le plus pur est l’air qu’elle respire ;

Je vois tous mes bonheurs, Muse, dans son sourire,

Et tous mes rêves dans ses yeux !


Vigny,Les Destinées, 1844

Voici encore un disciple de Rousseau, plus stoïcien peut-être, pas moins inapte au jeu social, tout en prétendant à le diriger de loin, inspiré par une Eva digne de son ancêtre Julie. On remarquera encore ce que Baudelaire devra à ce poème, notamment pour Harmonie du soir.

LA MAISON DU BERGER

À ÉVA.

I

Si ton cœur, gémissant du poids de notre vie,

Se traîne et se débat comme un aigle blessé,

Portant comme le mien, sur son aile asservie,

Tout un monde fatal, écrasant et glacé ;

S’il ne bat qu’en saignant par sa plaie immortelle,

S’il ne voit plus l’amour, son étoile fidèle,

Éclairer pour lui seul l’horizon effacé ;

Si ton âme enchaînée, ainsi que l’est mon âme,

Lasse de son boulet et de son pain amer,

Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame,

Penche sa tête pâle et pleure sur la mer,

Et, cherchant dans les flots une route inconnue,

Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue,

La lettre sociale écrite avec le fer ;

Si ton corps frémissant des passions secrètes,

S’indigne des regards, timide et palpitant ;

S’il cherche à sa beauté de profondes retraites

Pour la mieux dérober au profane insultant ;

Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges,

Si ton beau front rougit de passer dans les songes

D’un impur inconnu qui te voit et t’entend,

Pars courageusement, laisse toutes les villes ;

Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin,

Du haut de nos pensers vois les cités serviles

Comme les rocs fatals de l’esclavage humain.

Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,

Libres comme la mer autour des sombres îles.

Marche à travers les champs une fleur à la main.

La Nature t’attend dans un silence austère ;

L’herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,

Et le soupir d’adieu du soleil à la terre

Balance les beaux lis comme des encensoirs.

La forêt a voilé ses colonnes profondes,

La montagne se cache, et sur les pâles ondes

Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.

Le crépuscule ami s’endort dans la vallée,

Sur l’herbe d’émeraude et sur l’or du gazon,

Sous les timides joncs de la source isolée

Et sous le bois rêveur qui tremble à l’horizon,

Se balance en fuyant dans les grappes sauvages,

Jette son manteau gris sur le bord des rivages,

Et des fleurs de la nuit entr’ouvre la prison.

Il est sur ma montagne une épaisse bruyère

Où les pas du chasseur ont peine à se plonger,

Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière,

Et garde dans la nuit le pâtre et l’étranger.

Viens y cacher l’amour et ta divine faute ;

Si l’herbe est agitée ou n’est pas assez haute,

J’y roulerai pour toi la Maison du Berger.

Elle va doucement avec ses quatre roues,

Son toit n’est pas plus haut que ton front et tes yeux ;

La couleur du corail et celle de tes joues

Teignent le char nocturne et ses muets essieux.

Le seuil est parfumé, l’alcôve est large et sombre,

Et là, parmi les fleurs, nous trouverons dans l’ombre,

Pour nos cheveux unis, un lit silencieux.


Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857

Mais oui, Baudelaire doit d’abord être lu comme un romantique, lointain disciple de Rousseau, ce maître qu’il aurait renié, mais auquel il emprunte cette inaptitude à la vie sociale qui est devenue au cours du XIXème siècle le mal du siècle, et dont le dernier avatar est le spleen baudelairien. Il lui emprunte aussi le thème du refuge dans la nature, même si l’on écoute peu les petits oiseaux chez Baudelaire, et une forme de religiosité, quoique volontiers blasphématoire, ce qui n’aurait pas manqué d’horrifier Rousseau! Voici les deux poèmes auxquels il a été fait allusion ci-dessus. Baudelaire est aussi l’initiateur du symbolisme, et en définitive de toute la poésie moderne, mais il était nécessaire de conclure ce cycle en n’oubliant pas les maillons de la chaîne romantique qui unit Rousseau à Baudelaire.

Elévation

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,

Par delà le soleil, par delà les éthers,

Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,

Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde

Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;

Va te purifier dans l’air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse

S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

— Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes !

Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;

Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;

Valse mélancolique et langoureux vertige !

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;

Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,

Du passé lumineux recueille tout vestige !

Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige……

Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

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