Le théâtre romantique français

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Si l’on n’hésitait pas à être à la fois injuste et anachronique, on dirait par boutade que le seul drame romantique réussi est le Don Juan de Molière…

C’est que, inventé par les romantiques en réaction contre les conventions classiques, qui opposaient totalement comédies et tragédies, Hugo et consorts ont voulu rapprocher comédie et tragédie, dans une synthèse fortement inspirée par le théâtre de Shakespeare : sur un intrigue globalement tragique, on plaque par alternance des scènes comiques, jusqu’à un finale qui mène le spectateur au comble de l’émotion, devant le spectacle de la mort des héros (cf Ruy Blas et Hernani). Mais cette alternance de scènes comiques et de scènes tragiques a très vite (une dizaine d’années) fini par paraître aussi artificielle que les bienséances classiques. On s’intéressera ici à deux pièces de Musset, Lorenzaccio et les Caprices de Marianne, qui sont les deux plus intéressants chefs d’œuvre de cette période.

III,1 (avec Scoronconcolo, en « répétant » l’assassinat du duc )

LORENZO. ô jour de Sang, jour de mes noces ! ô soleil, soleil ! il y a assez longtemps que tu es sec comme le plomb ; tu te meurs de soif, soleil ! son sang t’enivrera. ô ma vengeance ! qu’il y a longtemps que tes ongles poussent ! ô dents d’Ugolin, il vous faut le crâne, le Crâne !

IV, 11

La chambre de Lorenzo.
Entrent le Duc et Lorenzo.

LE DUC. Je suis transi, – Il fait Vraiment froid. (Il ôte son épée.) Eh bien ! mignon, qu’est-ce que tu fais donc ?

LORENZ0. Je roule votre baudrier autour de votre épée, et je la mets sous votre chevet. il est bon d’avoir toujours une arme sous la main. (il entortille le baudrier de manière à empêcher l’épée de sortir du fourreau.)

LE DUC. Tu sais que je n’aime pas les bavardes, et il m’est revenu que la Catherine était une belle parleuse. Pour éviter les conversations, je vais me mettre au lit. A propos, pourquoi donc as-tu fait demander des chevaux de poste à l’évêque de Marzi ?

LORENZO. Pour aller voir mon frère, qui est très malade, à ce qu’il m’écrit.

LE DUC. Va donc chercher ta tante.

LORENZO. Dans un Instant. (Il sort.)

LE DUC, seul. Faire la cour à une femme qui vous répond oui, lorsqu’on lui demande oui ou non, cela m’a toujours paru très sot et tout à fait digne d’un Français. Aujourd’hui surtout, que j’ai soupé comme trois moines, je serais incapable de dire seulement .

“ Mon coeur, ou mes chères entrailles”, à l’infante d’Espagne. je veux faire semblant de dormir ; ce sera peut-être cavalier, mais ce sera commode. (il se couche. – Lorenzo rentre l’épée à la main.)

LORENZO. Dormez-vous Seigneur ? (il le frappe.)

LE DUC. C’est toi, Renzo ?

LORENZO. Seigneur, n’en doutez pas. (lI le frappe de nouveau. – Entre Scoronconcolo.)

SCORONCONCOLO. Est-Ce fait ?

LORENZO. Regarde, il m’a mordu au doigt. je garderai jusqu’à la mort cette bague sanglante, inestimable diamant.

SCORONCONCOLO. Ah ! mon Dieu, c’est le duc de Florence !

LORENZO, S’asseyant sur le bord de la fenêtre. Que la nuit est belle ! que l’air du ciel est pur ! Respire, respire, coeur navré de joie !

SCORONCONCOLO. Viens, maître, nous en avons trop fait. sauvons-nous.

LORENZO. Que le vent du soir est doux et embaumé ! comme les fleurs des prairies s’entrouvrent ! ô nature magnifique ! ô éternel repos !

SCORONCONCOLO. Le vent va glacer sur votre visage la sueur qui en découle. venez, seigneur.

LORENZO. Ah ! Dieu de bonté ! quel moment !

SCORONCONCOLO. à part. Son âme se dilate singulièrement. Quant à moi, je prendrai les devants. (il veut sortir.)

LORENZO. Attends ! tire ces rideaux. Maintenant, donne-moi la clef de cette chambre.

SCORONCONCOLO. Pourvu que les voisins n’aient rien entendu !

LORENZO. Ne te souviens-tu pas qu’ils sont habitués à notre tapage ? viens, partons. (ils sortent.)


Les Caprices de Marianne I, 4

Ciuta se retire. – Entre Marianne.

OCTAVE.—  Belle Marianne, vous dormirez tranquillement. – Le cœur de Coelio est à une autre, et ce n’est plus sous vos fenêtres qu’il donnera ses sérénades.

MARIANNE.—  Quel dommage et quel grand malheur de n’avoir pu partager un amour comme celui-là ! Voyez comme le hasard me contrarie ! Moi qui allais l’aimer.

OCTAVE.—  En vérité !

MARIANNE.—  Oui, sur mon âme, ce soir ou demain matin, dimanche au plus tard, je lui appartenais. Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? Il faut croire que sa passion pour moi était quelque chose comme du chinois ou de l’arabe, puisqu’il lui fallait un interprète, et qu’elle ne pouvait s’expliquer toute seule.

OCTAVE.—  Raillez, raillez, nous ne vous craignons plus.

MARIANNE.—  Ou peut-être que cet amour n’était encore qu’un pauvre enfant à la mamelle, et vous, comme une sage nourrice, en le menant à la lisière, vous l’aurez laissé tomber la tête la première en le promenant par la ville.

OCTAVE.—  La sage nourrice s’est contentée de lui faire boire d’un certain lait que la vôtre vous a versé sans doute, et généreusement ; vous en avez encore sur les lèvres une goutte qui se mêle à toutes vos paroles.

MARIANNE.—  Comment s’appelle ce lait merveilleux ?

OCTAVE.—  L’indifférence. Vous ne pouvez aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épines et sans parfum.

MARIANNE.—  Bien dit. Aviez-vous préparé d’avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues, donnez-le-moi, de grâce, que je les apprenne à ma perruche.

OCTAVE.—  Qu’y trouvez-vous qui puisse vous blesser ? Une fleur sans parfum n’en est pas moins belle ; bien au contraire, ce sont les plus belles que Dieu a faites ainsi ; et le jour où, comme une Galatée d’une nouvelle espèce, vous deviendrez de marbre au fond de quelque église, ce sera une charmante statue que vous ferez et qui ne laissera pas que de trouver quelque niche respectable dans un confessionnal.

MARIANNE.—  Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ? Voyez un peu ce qui m’arrive : il est décrété par le sort que Coelio m’aime, ou qu’il croit m’aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m’envoyer en votre personne un digne représentant chargé de me faire savoir que j’ai à aimer ledit seigneur Coelio d’ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N’est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l’heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt et faire de son nom le refrain d’une chanson à boire ? Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu’elle, et l’homme qui lui parle, qui ose l’arrêter en place publique son livre de messe à la main, n’a-t-il pas le droit de lui dire : vous êtes une rose du Bengale sans épines et sans parfum ?

OCTAVE.—  Cousine, cousine, ne vous fâchez pas.

MARIANNE.—  N’est-ce pas une chose bien ridicule que l’honnêteté et la foi jurée ? Que l’éducation d’une fille, la fierté d’un cœur qui s’est figuré qu’il vaut quelque chose, et qu’avant de jeter au vent la poussière de sa fleur chérie, il faut que le calice en soit baigné de larmes, épanoui par quelques rayons de soleil, entre ouvert par une main délicate ? Tout cela n’est-il pas un rêve, une bulle de savon qui, au premier soupir d’un cavalier à la mode, doit s’évaporer dans les airs ?

OCTAVE.—  Vous vous méprenez sur mon compte et sur celui de Coelio.

MARIANNE.—  Qu’est-ce après tout qu’une femme ? L’occupation d’un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule. Une femme ! C’est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : voilà une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : “ Voilà peut-être le bonheur d’une vie entière ”, et qui la laisserait passer ?

Elle sort.

Voici le dénouement de la pièce.

II, 6,. Un cimetière.

OCTAVE etMARIANNE, auprès d’un tombeau.

OCTAVE.—  Moi seul au monde je l’ai connu. Cette urne d’albâtre, couverte de ce long voile de deuil, est sa parfaite image. C’est ainsi qu’une douce mélancolie voilait les perfections de cette âme tendre et délicate. Pour moi seul, cette vie silencieuse n’a point été un mystère. Les longues soirées que nous avons passées ensemble sont comme de fraîches oasis dans un désert aride ; elles ont versé sur mon cœur les seules gouttes de rosée qui n’y soient jamais tombées. Coelio était la bonne partie de moi-même ; elle est remontée au ciel avec lui. C’était un homme d’un autre temps ; il connaissait les plaisirs et leur préférait la solitude ; il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité. Elle eût été heureuse la femme qui l’eût aimé.

MARIANNE.—  Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t’aimerait ?

OCTAVE.—  Je ne sais point aimer, Coelio seul le savait. La cendre que renferme cette tombe est tout ce que j’ai aimé sur la terre, tout ce que j’aimerai. Lui seul savait verser dans une autre âme toutes les sources de bonheur qui reposaient dans la sienne. Lui seul était capable d’un dévouement sans bornes ; lui seul eût consacré sa vie entière à la femme qu’il aimait, aussi facilement qu’il aurait bravé la mort pour elle. Je ne suis qu’un débauché sans cœur ; je n’estime point les femmes : l’amour que j’inspire est comme celui que je ressens, l’ivresse passagère d’un songe. Je ne sais pas les secrets qu’il savait. Ma gaieté est comme le masque d’un histrion ; mon cœur est plus vieux qu’elle, mes sens blasés n’en veulent plus. Je ne suis qu’un lâche ; sa mort n’est point vengée.

MARIANNE.—  Comment aurait-elle pu l’être, à moins de risquer votre vie ? Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous.

OCTAVE.—  Coelio m’aurait vengé Si j’étais mort pour lui comme il est mort pour moi. Ce tombeau m’appartient ; c’est moi qu’ils ont étendu sous cette froide pierre ; c’est pour moi qu’ils avaient aiguisé leurs épées ; c’est moi qu’ils ont tué. Adieu la gaieté de ma jeunesse, l’insouciante folie, la vie libre et joyeuse au pied du Vésuve ! Adieu les bruyants repas, les causeries du soir, les sérénades sous les balcons dorés ! Adieu Naples et ses femmes, les mascarades à la lueur des torches, les longs soupers à l’ombre des forêts ! Adieu l’amour et l’amitié ! Ma place est vide sur la terre.

MARIANNE.—  Mais non pas dans mon cœur, Octave. Pourquoi dis-tu : Adieu l’amour ?

OCTAVE.—  Je ne vous aime pas, Marianne ; c’était Coelio qui vous aimait !

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