Musset, « Les Caprices de Marianne », dernière scène : commentaire composé

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Explication rédigée : Les Caprices de Marianne, II, 6

Nous sommes à la fin de la pièce, probablement un jour ou deux après l’assassinat de Coelio, au cimetière où il est enterré. On voit sur scène une “urne d’albatre recouverte d’un voile de deuil” , dans laquelle se trouvent peut-être ses cendres, à moins qu’elle soit placée au-dessus de son tombeau simplement à titre symbolique, puisqu’à la fin de la scène Octave montre un tombeau et une “froide pierre”. Sont présents sur la scène Marianne et Octave. Ce dernier se sent coupable:

– d’abord parce que c’est à lui que l’invitation de Marianne avait été adressée et que c’est donc lui qui aurait dû être assassiné.
– ensuite parce que Coelio s’est laissé assassiner, croyant qu’Octave l’avait trahi en l’envoyant sciemment à la mort.

L’intérêt de cette scène est de nous faire comprendre ce qu’il va advenir d’Octave et de Marianne, mais aussi de nous donner les dernières clés psychologiques à propos des personnages de Coelio et d’Octave.

LECTURE

Plan de la scène :

3 répliques d’Octave (entrecoupées par de courtes répliques de Marianne), qui évoquent :

  • les qualités de Coelio
  • les défauts d’Octave
  • le renoncement à la vie d’Octave

Plan de l’explication :
I – La fin des relations entre Marianne et Octave
II – Les rapports entre Coelio et Octave
III – Quelle suite peut-on imaginer à la pièce ?


I – La fin des relations entre Marianne et Octave

A) Marianne

Elle est certaine d’avoir trouvé l’homme dont elle rêvait (cf explic. précédente). Elle a donc perdu tout orgueil, toute agressivité à l’égard d’Octave, qu’elle tutoie pour la première fois de la pièce (citer réplique 2). Elle ne se rebute pas malgré les refus réitérés d’Octave à chacune de ses interventions (citer répl. 2 et 6). Mais elle continue à utiliser son arme favorite en retournant le reproche implicite de la fin de la réplique 1 : Elle eût été heureuse …// Ne serait-elle point heureuse…

B) Octave

Il se considère comme une sorte d’infirme en amour (répl. 3), accumulant les expressions négatives sur sa capacité à aimer : Je ne sais pont aimer, … Je ne suisqu’un débauché …, Je n’estime point …, Je ne sais pas… Cette sorte de “mea culpa” est censée dégoûter Marianne de l’aimer, alors que c’est précisément cette attitude d’Octave qui attire Marianne: rappelons-nous qu’elle avait espéré rencontrer un homme qui baisserait les yeux devant elle…. et la laisserait passer, II,1).

C) La fin de leurs relations ?

La dernière réplique (7), dans sa brièveté (c’est la plus courte de la scène) est extrêmement cinglante, elle “cloue le bec” à Marianne, et amène le baisser du rideau: L’écart entre le tu de Marianne et le vous d’Octave, entre le présent pourquoi dis-tu  et l’imparfait c’était Coelio qui vous aimait fait claquer Je ne vous aime pas, Marianne comme une gifle, renvoyant Marianne à sa propre culpabilité dans l’histoire: elle a été incapable de choisir le “bon” amant, d’agir autrement que par “caprice”: elle apparaît comme infantile et finalement assez bête (cf mise en scène de la Criée pour les scènes précédentes). L’adieu définitif d’Octave peut être souligné par la mise en scène (Octave ne regarde jamais Marianne; évoquer la mise en scène de la Criée).


II – Les rapports entre Coelio et Octave

A) Coelio est présenté comme l’antithèse d’Octave 

(cf leur première rencontre, I, 1) 

Coelio connaissait…, savait (5 fois)Octave ne sai(t) point aimer.

Coelio savait verser … bonheur …, était capable d’un dévouement sans borne …., eût consacré sa vie entière…, bravé la mort pour elle , alors qu’Octave est un débauché sans coeur…, un lâche dont les sens sontblasés. L’amour qu’il inspire (s.e. à Marianne) ne peut donc être qu’une ivresse passagère, alors que l’amour éprouvé par Coelio était éternel (lui seul eût consacré sa vie entière).Même en dehors de l’amour, Coelio est présenté comme l’antithèse d’Octave: un intellectuel (il connaissit les plaisirs, il leur préfarait la solitude … il préférait les illusions à la réalité), en face d’un histrion auxsens blasés.

B) Mais il est aussi le double d’Octave

Coelio était La bonne partie de moi-même: malgré leurs différences, ils étaient des amis inséparables: les longues soirées que nous avons passées enemble (répl.1), les bruyants repas, les causeries du soir …(répl.5). L’adieu à l’amourest aussi un adieu à l’amitié (répl. 5). Coelio était le double plus jeune (au moins moralement) d’Octave, qui est vieux avant l’âge, encore plus vieux depuis qu’il a perdu son ami: Coelio étaitun homme d’un autre temps, alors que pour Octave mon coeur est plus vieux que (ma gaieté), ses sens sont déjà blasés. Il se sent déjà vieux, mort dans son coeur; adieu à la gaieté de ma jeunesse.Traditionnellement, on interprète ce dédoublement comme une sorte de confession de Musset, qui , désenchanté de lui-même et de son époque, contemple à travers les yeux d’Octave le jeune homme idéaliste qu’il avait été quelques années auparavant, et qui est représenté par Coelio.

C) Le sentiment de culpabilité

Ce sentiment de désespoir, lié au thème typiquement romantique du temps qui passe trop vite, est ici dramatiquement renforcé par le double sentiment de culpabilité éprouvé par Octave: il aurait dû mourir à la place de Coelio, puisque c’est à lui que le message de Marianne avait été adressé (Ce tombeau m’appartient, c’est moi qu’ils ont étendu sous cette froide pierre).Il se reproche aussi de ne pas avoir eu le courage de vengerson ami (Je ne suis qu’un lâche; sa mort n’est point vengée), et les excuses données par Marianne (répl. 4) n’y peuvent rien, peut-être parce qu’Octave fait remonter sa culpabilité  au tout début de l’histoire, comme s’il se rendait compte qu’il avait inconsciemment souhaité la mort de son ami, en l’aidant de fort mauvaise manière chaque fois qu’il avait rencontré Marianne (cf première explication).


III – Quelle suite peut-on imaginer ?

Evidemment, la question peut paraître absurde: l’action est terminée, et on peut considérer qu’après la réplique cinglante C’était Coelio qui vous aimait, il est dramatiquement plus intéressant que le rideau se baisse tout de suite, car toute prolongation de la scène en affadirait la puissance.

Il est cependant intéressant de s’interroger sur ce que pourrait être la suite de l’histoire, parce que c’est une question que se pose naturellement le spectateur précisément au moment où le rideau tombe, et parce que la réponse à cette question peut être induite par la mise en scène qui a été choisie pour la représentation. C’est en fait notre dernier jugement sur les personnages de la pièce qui est en jeu:

A) Octave court au suicide ?

Cela semble déjà annoncé par le texte:

  • Octave n’a-t-il pas dit au passé composé C’est moi qu’ils ont tué, comme si cette évocation de la mort de Coelio n’était que la préfiguration de sa propre mort, sorte d’avertissement du destin semblable à ceux que Coelio avait évoqués pour lui-même au début de la pièce (Ou je réussirai, ou je me tuerai,I, 1) ?
  • D’autre part, l’anaphore des Adieude la dernière tirade d’Octave ressemble fort à un Adieu à la vie: en fait, avec la mort de Coelio, Octave est déjà mort: Coelio était la bonne partie de moi-même; elle est remontée au ciel avec lui. Son sentiment d’échec et de culpabilité est si fort qu’il a l’impression d’être déjà mort.
  • La mise en scène peut donc suggérer, par des gestes, par un accessoire, ou par tout autre moyen scénique, qu’Octave va se suicider. Il a en tout cas (dans la mise en scène de la Criée) le même costume que celui que portait Coelio au début de la pièce, un costume de deuil (de soi?).

B) Et si Marianne gagnait?

Si Octave se sent déjà mort, a-t-il besoin de se suicider?

  • Comme l’indique la didascalie au début de la scène, nous sommes dans un cimetière, auprès d’un tombeau: quelques jours ont passé, et Coelio ne s’est toujours pas suicidé; il est seul avec Marianne, dont il accepte au moins tacitement la présence aimante.
  • On peut alors considérer qu’Octave n’annonce pas sa mort, mais une sorte de renoncement, de laisser aller devant le destin, et que son autocritique (Je ne sais point aimer) est une sorte d’appel au secours adressé à Marianne.
  • Si le metteur en scène demande à l’acteur qui joue le rôle d’Octave de donner à la dernière réplique un ton plus plaintif qu’agressif, si l’actrice est physiquement très proche d’Octave, qu’elle tutoie, mais qu’elle peut aussi prendre par la main, on pourrait même imaginer, en contradiction avec les données apparentes du texte, un Octave qui se laisserait aller à perdre ses dernières illusions, en devenant très bourgeoisement l’amant de Marianne, devenue quant à elle non seulement très amoureuse d’Octave, mais aussi très libre à l’égard de son mari, comme en témoigne sa dernière réplique.

CONCLUSION

Voici donc une scène particulièrement dramatique par sa mise en scène funèbre, qui met un point final à la pièce: elle suggère a fin des relations entre Octave et Marianne, et elle évoque la nature des relations qui unissaient Octave à Celio, ainsi que Musset à ses personnages. Il faut noter à ce propos que, certes, l’aspect autobiographique de la pièce semble avoir été démenti par la réalité: dans les mois qui vont suivre la rédaction de cette pièce, Musset va rencontrer George Sand et composer certains de ses chefs-d’œuvre, notamment Lorenzaccio, mais il y a cependant quelque chose de prémonitoire dans cette pièce : après cette brève période, dans quelques années, Musset ne sera plus que l’ombre de lui-même, jusqu’à sa mort en 1857.

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