Texte 1 : La chanson de Roland

Télécharger le texte et les questions au format DOCX.
Télécharger le texte et les questions au format PDF.


Traditionnellement, on fait commencer la littérature française avec la Chanson de Roland, une  chanson de geste datée de la fin du XIème siècle. Ce genre se développe naturellement dans une société aristocratique et féodale où les trouvères (troubadours en langue d’oc) « trouvent » des poèmes, diffusés de château en château,  mais aussi de village en village par des jongleurs. Leur langue est le Roman, terme au départ linguistique,  désignant quand il est substantivé les textes écrits dans cette langue, puis un genre littéraire.

La chanson de geste (gesta est synonyme en latin d’exploits) est une épopée, avec les quatre caractéristiques du genre, en accord avec les aspirations de la société dans laquelle elle s’inscrit : Un héros(Roland) combatavec force prouesses, dans une luttequi est celle du bien contre le mal(mal facile à identifier dans le contexte des croisades : ce sera ici les musulmans d’Espagne, appelés Sarasins), mettant en jeu les forces de la nature(ici, évidemment, le merveilleux chrétien : Roland devient une figure de héros christique au moment de sa mort et de son assomption).

Pour préciser le contexte, le comte Roland, neveu de Charlemagne, est le dernier survivant de l’arrière garde franque, qui vient d’être traitreusement attaquée et massacrée à Roncevaux, alors qu’elle s’apprêtait à franchir les Pyrénées, de retour vers la France.

Le texte est organisé en laisses, sortes de strophes dont l’unité de sens est soulignée par des assonances finales, ancêtres des rimes. On a tenu pour quelques textes à laisser le texte médiéval en regard de la traduction en français moderne.

Halt sunt li pui e mult halt li arbre.Les puys sont hauts, hauts sont les arbres.
Quatre perruns i ad, luisanz de marbre.Il y a là quatre perrons, tout luisants de marbre.
Sur l’erbe verte li quens Rollanz se pasmet.Sur l’herbe verte le comte Roland se pâme.
Uns Sarrazins tute veie l’esguardet,Cependant un Sarrasin l’épie,
Si se feinst mort, si gist entre les altres,Qui contrefait le mort et gît parmi les autres ;
De l’sanc luat sun cors e sun visage ;Il a couvert de sang son corps et son visage.
Met sei en piez e de curre se hastet ;Soudain il se redresse, il accourt ;
Bels fut e forz e de grant vasselage ;Il est fort, il est beau et de grande bravoure.
Par sun orguill cumencet mortel rage,Plein d’orgueil et de mortelle rage,
Rollant saisit e sun cors e ses armes,Il saisit Roland, corps et armes,
E dist un mot : « Vencuz est li niés Carle,Et s’écrie : « Vaincu, il est vaincu, le neveu de Charles !
« Iceste espée porterai en Arabe. »« Voilà son épée que je porterai en Arabie. »
En cel tirer li quens s’aperçut alques.Comme il la tirait, Roland sentit quelque chose…
Ço sent Rollanz que s’espée li tolt,Roland s’aperçoit qu’on lui enlève son épée ;
Uverit les oilz, si li ad dit un mot :Il ouvre les yeux, ne dit qu’un mot :
« Men escientre ! tu n’es mie des noz ! »« Tu n’es pas des nôtres, que je sache ! »
Tient l’olifant, que unkes perdre ne volt,De son olifant, qu’il ne voudrait point lâcher,
Si l’ fiert en l’ helme, ki gemmez fut ad or,Il frappe un rude coup sur le heaume tout gemmé d’or,
Fruisset l’acer e la teste e les os,Brise l’acier, la tête et les os du païen,
Ambsdous les oilz de l’ chef li ad mis fors,Lui fait jaillir les deux yeux hors du chef,
Jus à ses piez si l’ad tresturnet mort ;Et le retourne mort à ses pieds :
Après, li dit : « Culvert, cum fus si os« Lâche, dit-il, qui t’a rendu si osé,
« Que me saisis, ne à dreit ne à tort ?« À tort ou à droit, de mettre la main sur Roland ?
« Ne l’ orrat hom ne t’en tienget pur fol.« Qui le saura t’en estimera fou.
« Fenduz en est mis olifans el’ gros,« Le pavillon de mon olifant en est fendu ;
« Ça juz en est li cristals e li ors. »« L’or et les pierreries en sont tombés. »
Ço sent Rollanz la véue ad perdue,Roland sent bien qu’il a perdu la vue :
Met sei sur piez, quanqu’il poet s’esvertuet ;Il se lève, il s’évertue tant qu’il peut ;
En sun visage sa culur ad perdue.Las ! son visage n’a plus de couleurs.
Dedevant lui ad une perre brune ;Devant lui est une roche brune ;
.X. colps i fiert par doel e par rancune :Par grande douleur et colère, il y assène dix forts coups ;
Cruist li acers, ne freint ne ne s’esgruignet ;L’acier de Durendal grince : point ne se rompt, ni ne s’ébrèche :
E dist li quens : « Seinte Marie, aïue !« Ah ! sainte Marie, venez à mon aide, dit le comte.
« E ! Durendal, bone, si mare fustes !« Ô ma bonne Durendal, quel malheur !
« Quant jo n’ai prod, de vus nen ai mais cure.« Me voici en triste état, et je ne puis plus vous défendre ;
« Tantes batailles en camp en ai vencues« Avec vous j’ai tant gagné de batailles !
« E tantes teres larges escumbatues,« J’ai tant conquis de vastes royaumes
« Que Carles tient, ki la barbe ad canue !« Que tient aujourd’hui Charles à la barbe chenue !
« Ne vus ait hom ki pur altre s’en fuiet !« Ne vous ait pas qui fuie devant un autre !
« Mult bons vassals vus ad lung tens tenue ;« Car vous avez été longtemps au poing d’un brave,
« Jamais n’ert tels en France la solue. »« Tel qu’il n’y en aura jamais en France, la terre libre. »
  
Ço sent Rollanz que la morz le tresprent,Roland sent que la mort l’entreprend
Devers la teste sur le coer li descent ;Et qu’elle lui descend de la tête sur le cœur.
Desuz un pin i est alez curanz,Il court se jeter sous un pin ;
Sur l’erbe verte s’i est culchet adenz ;Sur l’herbe verte il se couche face contre terre ;
Desuz lui met s’espée e l’olifant.Il met sous lui son olifant et son épée,
Turnat sa teste vers la païene gent :Et se tourne la tête du côté des païens.
Pur ço l’ad fait que il voelt veirementEt pourquoi le fait-il ? Ah ! c’est qu’il veut
Que Carles diet e trestute sa gent,Faire dire à Charlemagne et à toute l’armée des Francs,
Li gentilz quens, qu’il fut morz cunqueranz.Le noble comte, qu’il est mort en conquérant.
Cleimet sa culpe e menut e suvent,Il bat sa coulpe, il répète son Mea culpa.
Pur ses pecchez Deu puroffrid le guant.Pour ses péchés, au ciel il tend son gant…
Ço sent Rollanz de sun tens n’i ad plus ;Roland sent bien que son temps est fini.
Devers Espaigne gist en un pui agut.Il est là au sommet d’un pic qui regarde l’Espagne ;
A l’ une main si ad sun piz batut :D’une main il frappe sa poitrine :
« Deus ! meie culpe vers les tues vertuz« Mea culpa, mon Dieu, et pardon au nom de ta puissance,
« De mes pecchez, des granz e des menuz,« Pour mes péchés, pour les petits et pour les grands,
« Que jo ai fait dès l’ure que nez fui« Pour tous ceux que j’ai faits depuis l’heure de ma naissance
« Tresqu’à cest jur que ci sui consoüz ! »« Jusqu’à ce jour où je suis parvenu. »
Sun destre guant en ad vers Deu tendut ;Il tend à Dieu le gant de sa main droite,
Angle de l’ cel i descendent à lui.Et voici que les Anges du ciel s’abattent près de lui.
Li quens Rollanz se jut desuz un pin,Il est là gisant sous un pin, le comte Roland ;
Envers Espaigne en ad turnet sun vis…Il a voulu se tourner du côté de l’Espagne.
De plusurs choses à remembrer li prist :Il se prit alors à se souvenir de plusieurs choses :
De tantes teres cume li bers cunquist,De tous les royaumes qu’il a conquis,
De dulce France, des humes de sun lign,Et de douce France, et des gens de sa famille,
De Carlemagne, sun seignur, ki l’ nurrit.Et de Charlemagne, son seigneur qui l’a nourri ;
Ne poet muer n’en plurt e ne suspirt.Il ne peut s’empêcher d’en pleurer et de soupirer.
Mais lui meïsme ne voelt mettre en ubli,Mais il ne veut pas se mettre lui-même en oubli,
Cleimet sa culpe, si priet Deu mercit :Et, de nouveau, réclame le pardon de Dieu :
« Veire paterne, ki unkes ne mentis,« Ô notre vrai Père, dit-il, qui jamais ne mentis,
« Seint Lazarun de mort resurrexis« Qui ressuscitas saint Lazare d’entre les morts
« E Daniel des leuns guaresis,« Et défendis Daniel contre les lions,
« Guaris de mei l’anme de tuz perilz« Sauve, sauve mon âme et défends-la contre tous périls,
« Pur les pecchez que en ma vie fis ! »« À cause des péchés que j’ai faits en ma vie. »
Sun destre guant à Deu en puroffrit,Il a tendu à Dieu le gant de sa main droite :
E de sa main seinz Gabriel l’ad pris.Saint Gabriel l’a reçu.
Desur sun braz teneit le chef enclin,Alors sa tête s’est inclinée sur son bras,
Juintes ses mains est alez à sa fin.Et il est allé, mains jointes, à sa fin.
Deus li tramist sun angle cherubinDieu lui envoie un de ses anges chérubins
E seint Michel de la Mer, de l’ Peril,Et saint Michel du Péril.
Ensemble od els seinz Gabriel i vint :Saint Gabriel est venu avec eux :
L’anme de l’ cunte portent en Paréis.L’âme du comte est emportée au Paradis…

Questions :

  1. Quelle est l’image du Sarrasin telle qu’elle apparaît dans les deux premières laisses ?
  2. Pourquoi peut-on parler de héros christique à propos de la fin de Rolland ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.