Texte 2: Tristan et Iseut

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Dès le siècle suivant (on a plusieurs versions de cette histoire, qui, mises bout à bout, forment un ensemble à peu près cohérent, mais elles datent vraisemblablement toutes du milieu du XIIème siècle) apparaît un nouveau thème : le héros est désormais pris entre deux fidélités ; comme Roland, Tristan doit fidélité à son roi, Marc de Bretagne, mais il désire aussi se mettre au service de sa Dame, or cette dame, Iseut, est précisément l’épouse du roi, ce qui donne au conflit toute son acuité. 

Dans le récit qui suit, on ne se méprendra pas sur ce que symbolise l’erreur commise par Brangien : certes c’est la fatalité qui frappe les deux amants, mais pas de pré-jansénisme ici ! C’est la force invincible du désir qui est ici symbolisée : Tristan et Iseut se sont plu dès le premier regard, avant de boire le fatal breuvage. Pas vraiment de courtoisie non plus, ou pas encore : la passion qui unit les deux amants est une pulsion impossible à maîtriser, presque dégradante, et qui s’émoussera à force d’être assouvie. Mais c’est LE mythe du grand amour malheureux qui nous est  offert dans ce passage pathétique (on aurait presque envie de dire cinématographique).

Au troisième jour, comme Tristan venait vers la tente, dressée sur le pont de la nef, où Iseut était assise, Iseut le vit s’approcher et lui dit humblement :

« Entrez, seigneur.

— Reine ; dit Tristan, pourquoi m’avoir appelé seigneur ? Ne suis-je pas votre homme lige, au contraire, et votre vassal, pour vous révérer, vous servir et vous aimer comme ma reine et ma dame ? »

Iseut répondit :

« Non, tu le sais, que tu es mon seigneur et mon maître ! Tu le sais, que ta force me domine et que je suis ta serve ! Ah ! que n’ai-je avivé naguère les plaies du jongleur blessé ! Que n’ai-je laissé périr le tueur du monstre dans les herbes du marécage ! Que n’ai-je assené sur lui, quand il gisait dans le bain, le coup de l’épée déjà brandie ! Hélas ! je ne savais pas alors ce que je sais aujourd’hui !

— Iseut, que savez-vous donc aujourd’hui ? Qu’est-ce donc qui vous tourmente ?

— Ah ! tout ce que je sais me tourmente, et tout ce que je vois. Ce ciel me tourmente, et cette mer, et mon corps, et ma vie ! »

Elle posa son bras sur l’épaule de Tristan ; des larmes éteignirent le rayon de ses yeux, ses lèvres tremblèrent. Il répéta :

« Amie, qu’est-ce donc qui vous tourmente ? »

Elle répondit :

« L’amour de vous.»

Alors il posa ses lèvres sur les siennes.

Mais, comme pour la première fois tous deux goûtaient une joie d’amour, Brangien, qui les épiait, poussa un cri, et, les bras tendus, la face trempée de larmes, se jeta à leurs pieds :

« Malheureux ! arrêtez-vous, et retournez, si vous le pouvez encore ! Mais non, la voie est sans retour, déjà la force de l’amour vous entraîne et jamais plus vous n’aurez de joie sans douleur. C’est le vin herbé qui vous possède, le breuvage d’amour que votre mère, Iseut, m’avait confié. Seul, le roi Marc devait le boire avec vous ; mais l’Ennemi s’est joué de nous trois, et c’est vous qui avez vidé le hanap. Ami Tristan, Iseut amie, en châtiment de la male garde que j’ai faite, je vous abandonne mon corps, ma vie ; car, par mon crime, dans la coupe maudite, vous avez bu l’amour et la mort ! »

Les amants s’étreignirent ; dans leurs beaux corps frémissaient le désir et la vie. Tristan dit.

« Vienne donc la mort ! »

Et, quand le soir tomba, sur la nef qui bondissait plus rapide vers la terre du roi Marc, liés à jamais, ils s’abandonnèrent à l’amour.

Le roi Marc accueillit Iseut la Blonde au rivage. Tristan la prit par la main et la conduisit devant le roi ; le roi se saisit d’elle en la prenant à son tour par la main. À grand honneur il la mena vers le château de Tintagel, et, lorsqu’elle parut dans la salle au milieu des vassaux, sa beauté jeta une telle clarté que les murs s’illuminèrent, comme frappés du soleil levant. Alors le roi Marc loua les hirondelles qui, par belle courtoisie, lui avaient porté le cheveu d’or ; il loua Tristan et les cent chevaliers qui, sur la nef aventureuse, étaient allés lui quérir la joie de ses yeux et de son cœur. Hélas ! la nef vous apporte, â vous aussi, noble roi, l’âpre deuil et les forts tourments.

À dix-huit jours de là, ayant convoqué tous ses barons, il prit à femme Iseut la Blonde. Mais, lorsque vint la nuit, Brangien, afin de cacher le déshonneur de la reine et pour la sauver de la mort, prit la place d’Iseut dans le lit nuptial. En châtiment de la male garde qu’elle avait faite sur la mer et pour l’amour de son amie, elle lui sacrifia, la fidèle, la pureté de son corps ; l’obscurité de la nuit cacha au roi sa ruse et sa honte.

Questions :

  1. Pourquoi peut-on qualifier ce passage de scène « cinématographique » ?
  2. Qu’est-ce qui rapproche Iseut d’une héroïne de tragédie comme Phèdre ? 


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